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André Téchiné : "Les Âmes sœurs, c'est l'histoire d'une femme qui en soignant quelqu'un se soigne elle-même" - franceinfo

André Téchiné sort "Les Âmes sœurs" sur un jeune grand blessé de guerre amnésique, dont la mémoire recèle un troublant secret.

Toujours aussi créatif et inattendu, André Téchiné raconte dans Les Âmes sœurs la reconstruction d'un jeune engagé au Mali grièvement blessé, rapatrié en France et soignée par sa sœur. Amnésique, il ne la reconnaît pas. Son chemin de guérison physique et mémorielle lui révèle combien sa relation avec elle était intime. Aussi, si vous voulez en avoir la surprise, lisez cet entretien qu'André Téchiné a accordé à Franceinfo uniquement après avoir vu le film. Les Âmes sœurs, vingt-huitième film du réalisateurs, sort mercredi 12 avril.

Franceinfo Culture : N’y a t-il pas deux films dans Les âmes sœurs, vu les deux thèmes du blessé de guerre et de l’inceste que vous abordez ?

André Téchiné : Deux films ?... Non, pour moi, le fil conducteur, c’est la passion de ce frère et de cette sœur. Il est donné pour mort comme militaire de carrière au Mali et elle va tout faire pour le sauver, et donc tout le film montre son parcours et ses soins, qui sont centraux, et c’est en le sauvant, qu’elle se soigne elle-même, s’émancipe d’une relation amoureuse qui pouvait être dangereuse, et qui la rendait recluse, fermée aux autres. Pour moi, le film a une ligne très pure, je ne vois pas comment on peut le séparer en deux. S’il y avait deux films, ils sont très liés, parce que l’amnésie dont il est atteint, et le traumatisme de guerre, créent un suspense. Va-t-il retrouver la mémoire, son accès aux souvenirs, quand, comment, sous quelle forme ? Elle est impliquée dans cela, puisqu’après l’hôpital, elle le prend en charge dans un coin de la France profonde, un désert médical, où elle poursuit sa guérison. C’est là qu’elle essaye de le reconnecter avec son passé. La mémoire n’est jamais effacée, mais elle ne lui est pas accessible. Si je devais résumer le film, c’est l’histoire d’une femme qui en soignant un autre, se soigne elle-même.

La partie à l’hôpital est filmée comme un reportage, et la prise de vue est une caméra portée durant tout le film. On sent "la patience du patient",  on passe des sensations aux émotions, puis du documentaire au mélodrame.

La partie consacrée aux soins est pour moi très importante. Il s’agit du travail des médecins, que j’ai essayé de montrer comme un sport, un marathon, des choses qu’on ne voit pas au cinéma justement, quand on parle des hôpitaux. La manière dont on s’adresse au patient et à qui on raconte comment on le soigne, pour lequel on essaye de construire un pont avec lui, en lui expliquant qu’il s’agit de le faire parvenir au monde des hommes qui tiennent debout. C’est une pratique thérapeutique très récente.

Comment vous est venu de basculer du grand blessé de guerre à l’inceste ?

 C’est tout le processus du récit, l‘inceste n’intervient que dans le dernier chapitre. Il y a toute cette reconstruction, puis quand elle aboutit, il y a la révélation de cette relation sexuelle. C’est le dernier tournant quand il apprend qu’il doit vivre en société, qu’elle a des règles. Il s’agit d’un rapport à la loi qui est brutale, et que cet amour-là n’y a pas sa place, comme lui dit la mairesse. Cette conscience morale qui doit lui faire renoncer son désir, il a beaucoup de mal à l’accepter. La question est comment dépasser l’inceste. Il est toujours hors champs dans le film. Certes, il y renonce, mais ce n’est pas une libération, comme ça l’est pour sa sœur. Elle s’ouvre au monde, c’est une émancipation, mais pour lui, c’est un deuil. Parce que lui n’est pas dans le même temps qu’elle, il est dans le présent, il la découvre comme s’il la voyait pour la première fois. Tout ce qui lui arrive est une première fois.

Benjamin Voisin et Noémie Merlant dans "Les Âmes soeurs" d'André Téchiné (2023). (2022 CURIOSA FILMS)

D’où vous vient cette justesse de cadrer parfaitement vos personnages dans leur environnement avec une continuité qui aspire l’œil dans tous vos films ? La photographie, ou la peinture est une pratique ou une inspiration pour vous ?

C’est vrai pour la peinture, je connais moins la photographie. Je suis un passionné de peinture. Comme du cinéma muet qui était extrêmement "picturalisé". Sans que ce soit volontaire de ma part ou conscient, c’est quand même mon goût et ma culture profonde. Cela doit donc se ressentir quelque part. J’étudie beaucoup le cadre, je suis directif sur ce point avec mon chef opérateur (Carlos Conti). Puisqu’on travaille désormais au combo, cela permet aussi de s’ouvrir à plus d’improvisation, avec plus de liberté pour lui. Je corrige si ça ne me correspond pas, je suis très sensible à la force visuelle. Pour moi, le cinéma, avant d’être une expérience du sens, c’est le sens du réel, c’est de l’image et du son. Et là, je voulais qu’on soit capturé par l’image et le son dès le début, et par ce qui va se passer, et comment David (Benjamin Voisin) va se reconstruire.

Vous avez beaucoup dirigé Benjamin Voisin et Noémie Merlant ?

J’étais très présent, je l’ai assistée, comme une personne en danger. Parce que les acteurs sont devant la caméra. Eux, ils y vont de leur corps, ce n’est pas moi. C’est très difficile de les comparer sans les opposer. Avec Benjamin, j’avais l’impression que pour lui tout était pour la première fois, et c’était exactement ce que je demandais. Ce qui m’intéressait dans ce projet, c’était traiter d’un personnage privé de psychologie. A partir de là, il est comme une bête aux aguets par rapport au présent, par rapport à tout ce qui se passe, par rapport à ce qu’il voit et entend, comme au cinéma justement, images et sons, et par rapport à cette femme unique, dont il tombe amoureux sans savoir que c’est ça sœur. Noémie s’est très bien débrouillée avec ça, simple et directe, tout en improvisation, Avec Benjamin, quand je le reprenais, ce n’était pas sur des questions psychologiques, puisqu’il n’y en avait pas. C’était plus technique, des gestes, des regards, sa voix, il fallait l'anémier, comme un mort vivant. C’est presque un film fantastique, mais il fallait en même temps que je sois très vigilant pour qu’il ait de l’énergie. Et il savait me montrer à la fois la vulnérabilité et une énergie libidinale, sexuelle, qu’il dégageait tout en se conformant à son handicap et son infirmité. Ça c’était formidable. Erotisme et handicap, ça c’est quelque chose qui m’a épaté, franchement. C’est un registre qui n’est pas balisé pour un acteur, ce n’est pas un emploi convenu, là, il faut inventer, vraiment. Les deux sont très incarnés. Elle est recluse, intériorisée, on voit qu’elle a des rapports décevants avec les autres, à partir du moment où elle doit s’occuper d’un frère pareil qu’elle.

Lui est très autocentré

Oui et en même temps complètement perdu, sans repère. Comme une page vierge. Et ça, c’est toute ma culture en peinture, avec les Vierges à l’enfant qui remontent à la surface. Je baigne dans cette culture-là. Je vais aller voir l’exposition Bellini. Je suis plus en intimité avec ça qu’avec l’art contemporain ou la photo. 

L'affiche des "Âmes sœurs" d'André téchiné (2023). (AD VITAM)

Genre :  Drame
Réalisateur : André Téchiné
Acteurs :  Benjamin Voisin, Néomie Merlant, Audrey Dana, André Marçon, Sya Rachedi, Alexis Loret, Mama Passinos, Jean Fornerod
Pays :  France
Durée : 1h40
Sortie : 12 avril 2023
Distributeur : Ad Vitam

Synopsis : David, lieutenant des forces françaises engagées au Mali, est grièvement blessé dans une explosion. Rapatrié en France, il souffre d’amnésie et commence une longue convalescence sous le regard dévoué de sa sœur Jeanne. 
Dans la maison familiale des Pyrénées, entre montagnes et lacs, Jeanne tente de raviver sa mémoire, mais David ne parait pas soucieux de se réconcilier avec celui qu’il était.

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