Il y a 30 ans s’éteignait Serge Gainsbourg. Au lendemain de sa disparition, sa sœur Jacqueline avait raconté à notre magazine l’enfance du chanteur... Avec Rétro Match, suivez l’actualité à travers les archives de Paris Match.
Il est né Lucien Ginsburg, à Paris, le 2 avril 1928. Fils d'immigrants russes juifs, Joseph, pianiste, et Olga, chanteuse, dont il héritera de la passion pour la musique. Il a grandi dans le XXe et le XIe arrondissement de la capitale, puis dans le Limousin, pour se cacher des rafles. Il n’est pas allé au bout du lycée, ni des Beaux-Arts, a commencé à gagner sa vie au piano-bar. Il s'y fera remarquer et deviendra, en 1957, Serge Gainsbourg.
Au lendemain de la disparition du chanteur, le 28 février 1991, sa sœur Jacqueline était revenue avec beaucoup de tendresse sur l’enfance de son cadet. Ses 400 coups, ses plaisirs et ses peurs, sa vie sous l’occupation, sa scolarité ratée, son passage à l’armée et sa rencontre avec l’alcool, ses premiers succès et ses derniers jours.
Voici le récit de la jeunesse de Serge Gainsbourg raconté par sa sœur, tel que publié dans Paris Match en 1991…
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Paris Match n°2182, 21 mars 1991
Jacqueline raconte son frère, Serge Gainsbourg
Propos recueillis par Jean-Claude Zana
«Jusqu’au bout Serge a eu un regret : ne pas avoir assez aimé son père ».
Serge vient de mourir et, dans tout Paris, on voit les affiches du film de Charlotte, «Merci la vie». Sur son répondeur, il avait enregistré les fameux mots de Hamlet, . "Etre ou ne pas être." Question ? Réponse ? » Et son rire. Pendant les deux jours et les deux nuits que nous avons passés rue de Verneuil, chaque fois que le téléphone sonnait on entendait sa voix, les mots terribles de Shakespeare. Charlotte a dit : Non! Non! Arrêtez ça! Fulbert, l'homme de confiance de Serge, a tout arraché.
C'est Bambou qui l'a découvert. Elle l'avait appelé comme elle faisait toujours. Il n'a pas répondu. Elle est venue rue de Verneuil. Il n'y avait pas de lumière. Elle a appelé les pompiers, qui sont passés par en haut. On l'a trouvé sur son lit. Très détendu. Il est mort pendant son sommeil, d'un arrêt cardiaque.
Les rabbins sont venus. On ne les a pas laissés entrer. Mes parents étaient des juifs ashkenazes athées. Ils nous ont élevés sans aucune éducation religieuse. Ma mère a été enterrée civilement. Mon frère a beaucoup souffert de la disparition de nos parents. Notre père est mort brutalement. Pour Serge, cela a été un choc terrible. Il a eu beaucoup de remords. ll considérait qu'il n'avait pas assez manifesté d'amour et d'estime à l'homme qui avait été à l'origine de sa carrière, à celui qui lui avait donné le goût de la musique. Avec ma mère, il avait des rapports différents, complètement passionnels. Il adorait cette femme russe, juive, qui disait tout le temps : Moi, je n'aime que les garçons. Les filles, c'est zéro... Après sa mort, il n'a jamais voulu remettre les pieds chez nous. Nous nous rencontrions au-dehors, chez des gens ou au restaurant. On se téléphonait souvent, mais il ne pouvait pas revenir là où sa mere avait vécu.
Serge avait été un petit garçon très mignon, pas très bavard, extrêmement sensible et un peu secret. L'un de ses plus anciens souvenirs remonte à l'époque où il était en nourrice avec Liliane, notre sœur. Il devait avoir 2 ou 3 ans. Avec nos parents, nous étions venus lui rendre visite. Notre départ a provoqué en lui un épouvantable désarroi. Il croyait qu'on l'abandonnait. Plus tard, il m'a souvent parlé de cette histoire. Nous étions très proches, mais il nous donnait le sentiment de vivre dans un monde de rêves.
Il faisait les quatre cents coups. C'était l'époque où il allait à l'école de la rue Blanche. Mes parents n'avaient pas beaucoup d'argent. En tout cas, ils ne nous en donnaient pas. Cela ne se faisait pas en ce temps-là. Serge chapardait de la petite monnaie dans le sac de ma mère pour acheter des bonbons et du Zan à l'épicerie Au goût délic, qui se trouvait à côté de son école. Ma mère faisait semblant de ne pas s'en apercevoir. Parfois, il faisait l'école buissonnière et il allait dans les magasins voler des petites voitures qu'il donnait à ses camarades de classe. Il savait très bien que s'il les rapportait à la maison, c'était la raclée assurée.
Mon père était un homme adorable mais il pratiquait la méthode russe. Quand Serge avait fait une grosse bêtise, il recevait des coups de ceinturon sur les fesses, pantalon sur les chevilles. Ma mère laissait faire pendant deux minutes, puis elle disait : «Oh! mon pauvre Lulu ! », et elle le défendait. Un jour, mon frère s'est fait prendre par le directeur d'un magasin qui l'a menacé de prévenir ses parents. Il s'est mis à hurler : Oh! surtout pas ! Surtout pas ! » Cet incident lui a fait tellement peur qu'il a cessé de chaparder.
Jusqu'en sixième, il a été un bon élève. Après, il a commencé à sécher les cours et à se balader dans les rues. Mon père utilisait une autre punition qui consistait à l'enfermer dans les toilettes avec interdiction d'allumer la lumière. Serge éprouvait une terreur intense et poussait des hurlements. Il finissait par allumer la lumière, ou alors il passait la tête par l'entrebâillement de la porte et commençait à rigoler. Alors, on criait : «Oh! il rit! Il rit , et il se remettait à pleurer. Il a fait beaucoup de bêtises, mais ce n'était pas un enfant difficile. Il était surtout très craintif.
Rue Chaptal, nous habitions un trois pièces-cuisine sans salle de bains. Mes parents dormaient dans le salon, ma sœur et moi dans la chambre et Serge dans la salle à manger, qui était la pièce d'apparat où l'on recevait les invités. Tous les soirs, on y installait un lit qu'on repliait le matin. Chaque fois, Serge me disait : «Jacqueline, tu viens m'aider à faire mon lit.» Il fallait que je regarde derrière les rideaux pour voir s'il n'y avait pas des gens cachés. Il avait déjà une imagination débordante, mais il savait surmonter sa peur. Pendant l'histoire de «La Marseillaise», il crevait de frousse. Il a pourtant affronté tout le monde. Je trouve que c'est encore plus méritoire.
Nous vivions des moments très agréables, surtout pendant l'été. Les congés payés n'existaient pas encore, mais, à cause du métier de notre père, qui jouait du piano dans les casinos, nous passions des vacances merveilleuses à Dinard, Trouville, Deauville, Cabourg... De 1928 à 1933, mon père s'était installé à Bordeaux et nous passions nos étés à Arcachon. Nous en sommes revenus avec un accent méridional assez prononcé.
A l'âge de 13 ans, Serge est tombé gravement malade. Cetait un enfant malingre, et même un peu rachitique. Son ventre s'est mis à gonfler. Les médecins ont diagnostiqué une typhoïde. En réalité, c'était une péritonite tuberculeuse qu'on n'a pas opérée et qui a guéri spontanément. Mon frère n'avait plus que la peau sur les os et marchait courbé comme un vieillard. Mes parents l'ont envoyé dans un village de la Sarthe. Quand il est arrivé, les gamins lui ont jeté des pierres, tellement il paraissait chétif, recroquevillé. Après six mois de campagne, il était totalement remis.
Notre père avait fait des études musicales pour ouvrir une école, car, en Russie, les professeurs de musique étaient des notables qui gagnaient très bien leur vie. Là-bas, il portait donc une vareuse d'étudiant avec des boutons dorés. C'est à cause de cette tenue qu'il a failli être exécuté en 1917 par les bolcheviks, qui arrêtaient les trains et fusillaient les étudiants. Pour leur échapper, il avait dû se cacher sous les énormes jupes d'une paysanne qui allait vendre ses légumes à la ville. Il avait aussi étudié la peinture. Il parlait très bien le français et adorait la littérature. Ma mère, elle, avait étudié le chant. C'est en lui donnant des leçons de musique que mon père l'avait connue.
A la maison, il y avait une ambiance artistique. Mon père allait aux expositions de la salle Drouot et rêvait devant les tableaux. On nous a mis à la musique très jeunes, vers 5 ou 6 ans. Quand nous rentrions de l'école, nous devions faire au moins une heure de piano par jour. En littérature, le premier livre qui a marqué Serge, c'était les «Contes » de Grimm, que je lui avais fait lire. Ces contes le fascinaient par leur méchanceté et leur pouvoir de rêve. Il s'est mis à lire avec assiduité, sans oublier les bandes dessinées de l'époque et « Mickey. A vrai dire, nos parents avaient honte que nous ayons ces goûts-là. Serge est allé au lycée jusqu'en seconde. Mon père a alors voulu l'inscrire à la préparation des Beaux-Arts et lui a fait donner des leçons particulières de mathématiques. Cela n'a jamais marché. Mon frère avait horreur de l'atmosphère de bizutage de l'école. Mes parents étaient désolés parce que les études n'intéressaient absolument pas leur fils.
En 1943, nous nous sommes réfugiés à Limoges. Serge avait 15 ans. Nous avons passé la ligne de démarcation avec de faux papiers. Ma soeur et moi, nous avons été cachées par des religieuses dans un couvent. A cause de trop grands risques, le supérieur d'un collège de Limoges refusa de prendre mon frère, qui échoua finalement au cours privé Saint-Léonard. En 1944, mes parents furent arrêtés à Limoges Ils passèrent quarante-huit heures en salle de police, mais ma mère, qui était une femme très énergique, effaça au Corrector la mention « israélite sur leurs papiers pour la remplacer par orthodoxe ». Les religieuses de notre couvent furent averties qu'on risquait de venir nous chercher, mais personne ne vint. Prévenu lui aussi, le directeur de Saint-Léonard donna une hache à mon frère et l'envoya dans la forêt : Tu vas t'installer dans une cabane et on enverra des petits copains te chercher quand ils seront passés. » Il a donc attendu toute la nuit dans une cabane de bûcheron. Mais c'était aussi une fausse alerte. Après cela, nos parents ont décidé de nous cacher dans un village proche de Limoges, à une douzaine de kilomètres d'Oradour.
Après la guerre, Serge a fait son service militaire. C'est là qu'il est devenu alcoolique. Il était la bête noire d'un sergent qui avait déjà été dégradé pour brutalité. Non seulement il lui tenait tête, mais, un jour, il l'a provoqué jusqu'à ce qu'il le frappe. Serge était ravi que ce type lui ait tapé dessus. Il lui a dit : « Maintenant, vous allez être rétrograde une nouvelle fois... Le sergent ne l'a plus jamais embêté.
De retour à Paris, Serge a commencé à vivre d'une façon désordonnée. Il gagnait sa vie comme il pouvait, en coloriant des affiches de cinéma, en s'occupant de loisirs d'enfants. Mon père, désespéré, lui a dit : «Puisque tu ne fais pas d'études, tu seras musicien, comme ton père. Ce qui était, pour lui, une forme de déchéance. Il lui a fourni ses premiers contrats de pianiste de bar au Club de la Forêt, chez Flavio au Touquet. « J'avais un tel phrasé, me dit Serge un jour, que je pouvais lever n'importe quelle fille ! Il chantait en espagnol, sans rien y comprendre, ces chansons avec «corazón » à tous les bouts de phrase. Et puis, il avait un regard, avec ses yeux en amande... Il se trouvait très laid - son idéal masculin était l'acteur américain Robert Taylor -, mais il séduisait beaucoup. Il adorait les femmes et avait des histoires sentimentales très compliquées. Puis il est arrivé chez Milord l'Arsouille où Michèle Arnaud l'a remarqué. La suite, tout le monde la connait...
Ces dernières années, depuis son opération, je l'ai vu dépérir de façon épouvantable. Il brûlait sa vie. Je m'attendais à cette issue. En même temps, cela a été un choc. Il n'écoutait personne, ni Jane, ni Bambou, ni Charlotte, qu'il adorait et qui le lui rendait bien... Il est mort seul. C'était une solitude terrible, malgré la douce présence de Bambou et de Lulu. Il était complètement sauvage. Quand on lui téléphonait, il prétendait qu'il allait bien, mais nous savions qu'il vivait dans une profonde angoisse contre laquelle personne ne pouvait rien faire, parce que c'était un écorché vif. C'est ce côté sauvage qu'il faut retenir de lui. Cette candeur qui lui était restée de l'enfance...
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