Comme la semaine dernière, j’entame cette chronique par l’une des sept-cents et quelques maquettes qui débordent de mes placards (promis, je ne le referai pas). Point de Nissan 370Z cette fois-ci, mais une Chrysler 1963, habillée d’une très belle carrosserie coupé hard-top deux portes signée Ghia, arborant une couleur exclusive bronze métal et un toit vinyle noir.
Cette fois-ci, le modèle réduit en question possède un capot ouvrant sur une reproduction détaillée de sa mécanique. Et ça tombe bien, puisque malgré son élégante plastique (c’est le cas de le dire), son principal "Unique Selling Point" pour parler marketeux, réside précisément dans la salle des machines abritant une véritable turbine à gaz. Attention, j’ai bien écrit "turbine" et non "usine", d’autant plus qu’avec à peine une soixantaine de pièces au lieu d’environ 300, ce type de propulseur en remontre aux traditionnels moteurs à piston en matière de simplicité.
J’invite les oreilles curieuses à "youtuber" afin d’écouter le bruit du bidule, même si ça vous rappellera probablement le Hoover de votre mère. Mais c’est l’occasion de voir en action l’un des trois exemplaires encore en état de marche sur les 55 produits. Rien à voir cependant avec un flop commercial, puisque ceux-ci n’étaient pas destinés à être commercialisés, mais prêtés pour être testés en conditions réelles d’utilisation à 203 volontaires choisis pour leur profil sociodémographique à la "John Doe", version yankee de Monsieur-tout-le-monde.
L’expérience terminée, 46 de ces belles voitures furent brutalement cafutées. Je sais, c’est horrible. Depuis que je l’ai lu, je suis poursuivi par la terrible vision de l’élégante carrosserie se contorsionnant dans les mâchoires du broyeur, avant de disparaitre totalement dans les entrailles de la machine opérant son sinistre travail de déchiquetage.
Ainsi mourut donc la voiture à turbine "de série", dont la Chrysler homonyme reste à ce jour l’unique représentante. La précéda une série de prototypes et d’engins de record imaginés dans l’après-guerre, alors que les réacteurs apparus sur les aéronefs allemands et anglais pendant le conflit représentaient pour un certain nombre d’ingénieurs l’avenir de la propulsion automobile.
Rover ouvrit le bal avec sa "T1", chronométrée en 1952 à 243 km/h sur une autoroute belge. En 1954, la Fiat Turbina fit une brève apparition dans sa jolie robe rouge et blanche, avant que Renault n'aille montrer deux ans plus tard son "Etoile Filante" aux Américains, à 308,85 km/h sur le Lac Salé de Bonneville.
Les Américains justement, dont les show cars Firebird I, II, III et IV dessinés par les stylistes de General Motors entre 1954 et 1963, se contentèrent de faire admirer leur esthétique inspirée d’univers galactiques sur le tapis des salons, bien qu’équipés de turbines fonctionnelles.
Les voitures à turbine se frottèrent également à la compétition, avec notamment la Rover-BRM engagée sans grand succès aux 24 heures du Mans entre 1963 et 1965 et surtout la STP Paxton Turbo Car qui dû à un foutu roulement de transmission à 6 dollars de n’avoir pas remporté les 500 miles d’Indianapolis en 1967 alors qu’elle menait la course à huit miles de la ligne d’arrivée. A l’inverse, la Howmet TX remporta deux des onze épreuves du Championnat du Monde des voitures de Sport 1968. Elle fut également la première voiture de compétition au monde baptisée du nom de son sponsor, fabricant de composants pour turbines, évidemment.
En 2010, la Jaguar C-X75 hybride fit renaitre l’espoir chez les amateurs du genre, en utilisant deux micro-turbines qui alimentaient les quatre moteurs électriques sommant 780 chevaux de la Supercar, dans une configuration type "range-extender" Las ! L’engin qui devait faire l’objet d’une production en série limitée termina dans les eaux du Tibre à Rome, aux mains du vilain Mr. Hinx poursuivant l’Aston-Martin DB10 de James Bond dans le film Spectre. Remotorisée par un "vulgaire" V8, celle-ci avait été repeinte dans une couleur évoquant étrangement celle de la Chrysler Turbine, comme une sorte d’hommage probablement involontaire.
Trop gourmande en carburant, polluante, bruyante, inadaptée aux variations de régimes constantes exigées par un usage automobile, et générant du degré Celsius à l’excès, la turbine ne trouvera donc probablement jamais sa place sous le capot d’une voiture. C’est semble-t-il la conclusion à laquelle auront permis d’arriver les millions d’heures et de dollars investis sur le sujet, et dont on peut se demander si on n’aurait pu y aboutir plus tôt.
Il est certes facile de réécrire l’histoire, mais je ne m’en interroge pas moins sur le rôle qu’a pu jouer l’imaginaire lié à la conquête spatiale dans la persévérance des bureaux d’étude à tenter de développer une solution menant finalement à une impasse. A une époque où l’automobile empruntait ses codes stylistiques aux fusées (observez les optiques avant et arrière de la Chrysler Turbine, évoquant respectivement les entrées d’air et la tuyère d’un réacteur), était-il permis de douter que celles-ci montraient la voie en pointant leur bout de nez vers le ciel ?
Si je vous raconte tout ça, c’est à cause de l’hydrogène. Parce que je me demande si nous ne sommes pas en train de réinventer la voiture à turbine.
L’hydrogène -H2 pour les intimes- est la substance chimique la plus répandue dans l’univers. Evidemment on n’ira pas le chercher sur les planètes gazeuses ni dans les étoiles, et le fait qu’il soit également très abondant sur la bonne vieille planète Terre ne signifie pas pour autant qu’il soit facile à récupérer, puisqu’il est systématiquement combiné à de l’oxygène, du soufre ou du carbone.
Mais comme disait Maitre Folâce dans Les Tontons flingueurs, à propos de la pomme dans le vitriol, "y’en a". Et surtout l’utilisation du H2 comme source d’énergie n’émet rien d’autre que de l’eau. Or, rejeter de la Volvic par le pot d’échappement plutôt que des substances hydrocarburées, c’est plutôt bien vu par les temps qui courent.
Et pour une voiture, ça marche comment ? et bien l’hydrogène peut servir de carburant pour un moteur thermique, comme pour la centaine de BMW Série 7 baptisées Hydrogen 7 produites entre 2007 et 2009. Cette technologie a néanmoins été abandonnée en raison d’un rendement déficient, d’une autonomie réduite et de la nécessité de stocker l’hydrogène sous forme liquide dans un réservoir cryogénique à très basse température. Bref, tout pour plaire.
Heureusement, il en va autrement avec la pile à combustible -ou Fuel Cell comme disent les Saxons- dispositif capable de convertir l’énergie chimique d’un liquide en énergie électrique. Dans ce cas, la voiture à hydrogène n’est autre qu’un véhicule électrique dont les batteries sont remplacées par un générateur produisant de l’énergie à partir d’une réaction chimique (même s’il subsiste évidemment une batterie "tampon" aux dimensions réduites, suffisante pour parcourir quelques kilomètres).
Le premier prototype équipé d’une pile à combustible fut l’Electrovan de GM en 1966, dont l’espace de chargement n’était pas de trop pour abriter le toutim de l’époque, depuis miniaturisé. Côté série, ce fut la Mercedes Classe B F-Cell, en 2002. Quant aux modèles actuellement disponibles sur le marché mondial, ils se résument à la berline Toyota Mirai, et au SUV Hyundai Nexo.
En plus de son côté "propre sur elle" déjà mentionnée, la technologie de la pile à combustible permet également de disposer d’une autonomie significativement meilleure que celle d’un VE classique, ainsi que de faire le plein en hydrogène en quelques minutes à peine. En revanche, son coût reste encore extrêmement élevé, et le dihydrogène utilisé -en dehors du fait qu’il n’est lui non plus pas donné- est hautement inflammable et même explosif, devant être stocké dans des réservoirs à haute pression (plusieurs centaines de bar) extrêmement résistants, y compris en cas de choc.
Les présentations étant faites, passons à l’actualité, depuis peu elle aussi envahie par les vapeurs gazeuses. A commencer par le chef de l’Etat qui a mentionné l’hydrogène pas moins de trois fois lors de son discours du dernier 14 juillet. Mais on le trouve aussi au Portugal, où le gouvernement se félicite de ce que l’appel d’offre pour en stimuler la production ait déjà recueilli 16 milliards d’euros, soit 7,5% du PIB national. L’Allemagne n’est pas en reste, avec la visite chez BMW de Peter Altmeier, ministre Fédéral de l’Economie, au cours de laquelle le constructeur munichois a annoncé le lancement en 2022 d’une nouvelle génération de piles.
Aux discours de nos voisins, Carlos Tavares, PDG de PSA a préféré quelques tours de piste au volant d’une voiture de la catégorie LMP2H qui disputera les 24 heures du Mans, et dont je vous laisse deviner la motorisation. Enfin, je ne peux résister au plaisir de mentionner la compagnie "Seabublle", qui a choisi Saint-Jorioz sur les rives du Lac d’Annecy comme site de production de ses petits "bateaux volants", autrement dit des catamarans taxis fonctionnant sur le principe de l’hydroptère, évidemment mus par une PAC (Pile à Combustible, et non pas Politique Agricole Commune).
Comme vous le voyez, l’hydrogène est véritablement partout, et je ne saurais trop vous recommander de ne pas craquer d’allumette inconsidérément dans cette ambiance hautement inflammable. Le sujet est d’ailleurs très loin de n’être limité qu’à l’automobile, puisque les applications du Fuel Cell sont multiples, qu’il s’agisse d’installations fixes ou mobiles et de tailles variées. Celles-ci peuvent ainsi substituer du groupe électrogène à la centrale thermique, ou équiper du vélo à assistance électrique au train de marchandises.
Mais on n’en est pas encore là, puisque l’essentiel de la production actuelle d’hydrogène est destiné à des applications chimiques, au rang desquels figurent les engrais, la production d’ammoniaque et de méthanol, ou encore le raffinage des hydrocarbures pour désulfurer les carburants. Or la demande de ces industries continuera à croitre dans les prochaines années.
Pour autant l’enjeu ne consiste pas tant à augmenter drastiquement la production d’hydrogène qu’à la décarboner, ce que ne permet pas le procédé actuel faisant appel au "vapocraquage" de gaz naturel. L’objectif de la Commission européenne comme d’un certain nombre de ses Etats membres consiste donc à promouvoir l’hydrogène vert produit à partir d’énergies renouvelables.
Ça tombe bien puisqu’à l’inverse des centrales thermiques régulées à coup de pelletées de charbon ou d’ouverture du robinet à gaz, les variations de production issues du solaire et de l’éolien ne sont pas maitrisables. Le surplus d’énergie issus des éoliennes ou des panneaux voltaïques dont on ne sait aujourd’hui que faire serait donc stocké sous forme d’hydrogène, avant d’être ultérieurement reconverti en électricité.
Pour ce faire, le gouvernement allemand a déjà posé 8 milliards d’euros sur la table, et l’Association française pour l’hydrogène et les piles à combustible (AFHYPAC), regroupant une trentaine d’acteurs majeurs de la filière, dont Air Liquide, Engie et Total, demande à l’Etat français d’investir 10,3 milliards de la même monnaie entre 2030 et 2040.
Le hic, c’est que l’hydrogène vert est hors de prix, entre 2,5 et 5,5 euros le kg contre 1,5 euros pour son équivalent issu du gaz, l’imprécision de la fourchette indiquée par l’Union Européenne nourrissant certaines craintes sur sa fiabilité. Ajoutez à cela que ce surplus de production n’est pas véritablement nécessaire avant 2035, et que le mix électrique français est déjà fortement décarboné entre nucléaire et hydraulique, et vous comprendrez que certains cerveaux doivent déjà fonctionner au rythme d’une pile à combustible dans certains ministères.
Mais revenons à l’automobile.
Soyons clairs, les technologies embarquées sont au point et ne peuvent que s’améliorer, même si la durée de vie d’une PAC devra rapidement dépasser les 150.000 km actuels. Rien ne s’oppose de ce point de vue à une augmentation rapide du parc. Mais à 78.900 euros la Toyota Mirai, en considérant que celle-ci ne rapporte probablement rien à son constructeur, on se dit qu’il y a encore du boulot sur Excel.
Songez pour ne prendre qu’un exemple au coût des réservoirs à hydrogène pressurisés à 700 bars, et dont les équipementiers qui les produisent garantissent que les normes drastiques auxquels ceux-ci sont soumis les rendent plus sûrs que leurs homologues à essence.
Autre élément un peu gênant, l’efficacité d’une chaîne de traction qui ne dépasse pas les 35 à 40%, soit la moitié de celle d’un VE traditionnel, puisqu’avant d’embarquer à bord, la réserve d’électricité que constitue l’hydrogène a déjà subi une transformation chimique importante et gourmande en énergie, ce qui n’est évidemment pas le cas de l’électricité produite par une batterie.
Et pourtant, l’essentiel est ailleurs, autrement dit dans tout ce qu’il y a autour. Aux questions liées à la production largement évoquées, s’ajoute en effet celle de la distribution qui représente là aussi un investissement colossal. Or l’exemple du réseau actuel de bornes de recharge pour véhicules électriques, très en-dessous des engagements pris par les différentes parties concernées, ne peut qu’inciter à la prudence. Sans compter que l’explosion récente d’une des 10 stations à hydrogène norvégiennes suite à une fuite du réservoir de stockage ne fera rien pour rassurer les esprits craintifs.
Du coup, on se retrouve sur le sujet avec deux écoles de pensée, entre Toyota et Daimler. Le premier voit dans l’hydrogène la technologie véritablement à même de succéder à l’hybride, même si les politiques d’incitation fiscale de nombreux états ont finalement contraint le constructeur d’Aichi à se mettre au VE à batteries. Son argumentation s’appuie principalement sur une approche client puisque les deux technologies permettent de restituer sa pleine autonomie au véhicule en quelques minutes d’arrêt.
Le second vient de jeter l’éponge après 30 années d’expérimentation sur l’hydrogène en retirant prématurément le Mercedes GLC F-Cell du catalogue, considérant que l’équation économique ne fonctionnera jamais. Du moins en ce qui concerne les voitures légères, puisque le groupe vient de conclure un accord avec Volvo afin de poursuivre le développement de la technologie hydrogène dans le domaine du poids lourd.
Vous êtes confus ? Moi aussi. Et je dois bien reconnaître ma totale incompétence sur un sujet aux implications techniques extrêmement complexes. Je suis d’ailleurs toujours surpris de voir les uns et les autres s’écharper sur le sujet par réseaux sociaux interposés, sans autre véritable argument qu’une conviction qui me paraît relever de la pensée magique.
Mais je dois tout de même vous avouer une certaine réticence à l’égard de l’hydrogène automobile, qui ne doit rien à la chimie. En 2 ans, nous sommes passés des 100 millions réclamés sur le sujet par Nicolas Hulot, alors ministre de la Transition écologique, à une dizaine de milliards. Je veux bien penser que Nico ait été petit bras, mais tout de même. Cet engouement soudain sur un thème qui est loin d’être nouveau me dérange quelque peu, et je m’interroge à propos de process décisionnels nous engageant sur une solution technologique lourde de conséquences.
Hier encore, la voiture autonome électrique était l’avenir de l’homme. Aujourd’hui, on nous propose un grand bol d’hydrogène frais. Et le modeste chroniqueur du jeudi aimerait juste penser qu’on n’est pas en train de nous réinventer la voiture à turbine, aussi belle ait été la carrosserie qui l’ait habillée.
Du coup, je songe à monter la maquette de la Chrysler Turbine avant celle de la 370Z. L’un d’entre vous connaît-il le code couleur du Bronze métallisée 1963 de la marque ?
July 30, 2020 at 05:09AM
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matière chimique
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